America

America

Dan Deacon

 

Note 8/10
Label : Domino
Année : 2012

C’est un fait, Dan Deacon est un doux dingue. Ce mot-valise est peut-être le meilleur terme pour caractériser la musique du barbu aux grosses lunettes et aux mille et une idées. La douceur réside dans la clarté de certaines mélodies (le diptyque « Snookered » / « Of the Mountains », sur Bromst, en est l’illustration idéale). Quant au caractère dingue de Deacon, l’intégralité de sa discographie fait jurisprudence, sous la forme, principalement, d’un synthétisme frénétique accompagné d’une voix de cartoon sous acide.

America, nouvel album paru chez Domino, ne déroge pas à la règle. Le grain de folie est toujours là, mais une certaine tempérance apparaît, à la lueur des précédents disques de l’Américain. Les morceaux sont plus concis : là où six titres de Bromst dépassaient la barre des six minutes, ce n’est ici le cas que pour deux. Du point de vue de l’orchestration, l’approche se distingue sous l’épaisseur synthétique par l’apparition de violons et de cuivres. Morceau d’ouverture instrumental et quasi punk, « Guilford Avenue Bridge » reproduit en son sein, sur un thème de banjo, le phasage/déphasage cher à Steve Reich, compositeur cité avec respect à plusieurs reprises sur America. « True Thrush », « Lots » et « Crash Jam » sont conformes aux attentes: de fiers amoncèlements de couches sonores, et le timbre de voix rappelant par moments la nonchalance d’un James Murphy de feu LCD Soundsystem. « Prettyboy », dont le motif mélodique apparaît comme une évidence, est quant à lui couronné par de superbes envolées de cordes, préfigurant ce qui va suivre sur la seconde partie du disque.

La suite « USA », gravée sur la seconde face du disque, est un long pamphlet de 22 minutes découpé en 4 morceaux distincts, sans temps mort. C’est le tour de force de l’album, quasiment instrumental et révélant, sous diverses physionomies, les démons et mythes des États-Unis d’Amérique, du moins tels que l’entend Dan Deacon. Ce qu’il entend, ce qu’il perçoit de son pays, c’est une vision minimale et maximale (termes si caractéristiques de sa musique), une appréhension micro/macro-musicale.

Au détour des thèmes de cet ouvrage, Dan Deacon emprunte aux grands compositeurs modernes Américains, tels que Steve Reich ou Terry Riley. Un emprunt rappelant un autre disque dédié, particulièrement, à un état du pays: Illinoise de Sufjan Stevens qui lui aussi puisait, sur certains morceaux, dans les pulsations des compositions de Reich. Le thème principal de la suite « USA » est d’une beauté lumineuse, taillé dans les cordes et cuivres. Construite en forme de montagnes russes, elle débute dans le bruit et la fureur des rythmes et bouillonnements synthétiques, s’étire sur deux mouvements sans s’essouffler pour, dans la troisième partie intitulée « Rail », respirer sous l’inspiration évidente d’une composition de Reich, « Different Trains ». « USA » tisse des pleins et déliés, organise et superpose, à l’aide de contrepoints, une métaphore inédite de la géographie des États-Unis.

Sous le microcosme du chahut de ses 9 compositions, America flatte l’égo de toute une contrée, captive par ses détournements, et conquiert sa place parmi les grands disques de la rentrée.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques