Shadow Motel

Ausfahrt Nach

Shadow Motel

 

Note : 8/10
Label : Crane Records
Année : 2013

Bande son d’un roman noir comme le bitume, Ausfahrt Nach est le premier album bouillonnant et maîtrisé de Shadow Motel.

Décidément, Crane Records a le flair pour enchaîner les sorties imposantes. Après le dangereux Tokkoubana des parisiens Seventeen at This Time, le label publie Ausfahrt Nach, premier album du trio lillois Shadow Motel. Avec une moyenne d’âge de 23 ans, le groupe affole par une superbe maîtrise d’écriture quasi-dramatique, une dextérité dans l’art de créer un espace sonore nocturne et inquiétant. Et malgré sa complexité, Ausfahrt Nach a été enregistré d’une traite, en seulement trois jours : “On avait pas mal préparé l’enregistrement pour pouvoir être efficaces et on faisait des soirées bières-badminton pour se détendre. Nous tenions à garder la spontanéité de nos concerts, donc nous avons opté pour une prise de son live. L’album a été enregistré par Thomas Fourny qui joue dans We Are Enfant Terrible, et qui a réussi à saisir le son que l’on attendait : shoegaze, avec une pointe de pop, et une ambiance générale d’outre-tombe. Le mastering est de Carl Saff, qui est basé à Chicago, et qui a fait du super boulot, notamment en réussissant à ne pas écraser le son.”

Il en résulte une production effectivement parfaite, des guitares lourdes et flamboyantes, une batterie tribale martelée avec précision et une voix insaisissable qui serpente entre les timbres de Patti Smith, Lydia Lunch ou Eleanor Friedberger des Fiery Furnaces. De quoi faire d’Ausfahrt Nach un album aux terminaisons nerveuses prenant directement leurs sources dans un imaginaire sonique basé outre-Atlantique. Les membres du groupe citent d’ailleurs comme influences majeures Sonic Youth, My Bloody Valentine, Ride, The Jesus and Mary Chain ou The Doors. Julien malmène sa guitare à la manière incendiaire d’un Lee Ranaldo et Swan joue de son orgue avec une attitude rappelant évidemment celle d’un Ray Manzarek, et qui n’a pour autant absolument rien du pastiche.

Au delà de l’ascendance, Shadow Motel possède sa propre géographie, son climat singulier : «  Can You Please Tune Me In?  » aux perverses accélérations et décélérations, «  Strategy  » dont les très beaux couplets s’affaissent dans d’épineux refrains ou encore le brûlant et inquisiteur «  Love or Disaster  » sont autant de compositions aussi précieuses qu’affûtées, aussi glacées qu’incendiaires.

Américain, mais également germanique de par son titre autoroutier (traduction : “Sortie vers …”), Ausfahrt Nach est un album aux frontières vaporeuses et véritablement indistinctes, sur lequel les trois membres du groupe semblent polariser toute leur fringance pour élaborer un territoire bouillonnant et fébrile, un roman noir sonore.

Chronique parue sur Bong Magazine