BCUC

Our Truth

BCUC

 

Label : Nyami Nyami Records
Année : 2016

Originaires de Soweto, BCUC (pour Bantu Continua Uhuru Consciousness) nomment leur musique Africangungungu. Terme intraduisible, mais on y lit « African » et un double « gun »: c’est tout à fait indiqué pour ce disque explosif et sensationnel. En deux longs morceaux d’une vingtaine de minutes et un troisième, « In My Blues », très bref, en guise d’épilogue, BCUC puise aussi bien dans les racines ancestrales de la musique africaine (dans ses percussion, sifflets, vocalises) que dans une fougue quasi punk-rock injectée par la basse électrique, ronde et véloce.

Our Truth est intense et honnête. Our Truth délivre un message socio-politique, combat pour l’unité et est fermement prêt à en découdre. « Yinde » (« La route ») symbolise le chemin parcouru et restant à parcourir en terme de justice et d’harmonie sociale, spécifiquement en Afrique du Sud. C’est sur « Asazani » que BCUC déploie radicalement son « flow psychosomatique et contagieux ». La première partie du morceau est euphorique et dansante. C’est ensuite que le groupe libère pendant de longue et superbes minutes toute sa rage, tout en citant imperturbablement « If You Don’t Know Me By Now » d’Harold Melvin & The Blue Notes. La frustration cherche une issue à tâtons, pour finalement exploser sans réserve dans les voix qui s’éraillent.

La musique de BCUC est « pour le peuple, par le peuple et avec le peuple ». Elle brasse les genres et les langues, déploie des perspectives où rudiments et modernité se conjuguent, et embrasse l’essentielle et tristement éternelle interrogation : allons-nous une bonne fois pour toutes nous décider à vivre ensemble ?

Saluons le nez fin du label français Nyami Nyami, lancé en 2015, pour cette sortie de qualité.

Chronique parue dans Paperhouse

Les filles de Illighadad

Les Filles de Illighadad

Fatou Seidi Ghali & Alamnou Akrouni

 

Label : Sahel Sounds
Année : 2016

En face A, une session solo d’une des deux seules femmes touaregs guitaristes, Fatou Seidi Ghali, un enregistrement brut à tel point que l’artiste stoppe un morceau, glisse quelques mots ou rit avant d’en débuter un autre. Des chœurs s’immiscent, quelques percussions s’ajoutent, les criquets chantent en arrière plan leur vie diurne : Fatou Seidi Ghali n’est pas exactement seule sur ces cinq morceaux. Le désert du Niger est son studio à l’air libre. La musique est circulaire, vivante, le chant est doux comme la brise bouleversante qui s’élève parfois dans la fournaise.

En face B, Fatou Seidi Ghali est rejointe par sa cousine Alamnou Akrouni et ses amies d’Illighadad, pour le polyphonique et chamanique « Tende ». La nuit tombée, les femmes du village se rassemblent, le chant responsorial et le battement implacable des percussions résonnent dans l’obscurité aphone, vide du bourdonnement électrique, vide du bruit des grandes villes et des automobiles. Les circonvolutions du tende s’élancent alors dans le désert et convoquent les âmes errantes à se joindre à l’assemblée, à chanter jusqu’à ce que les voix se cassent, à taper la peau tendue des percussions, à battre des mains jusqu’à ce qu’elles soient endolories ; jusqu’à ce que la nuit se consume et finisse de disperser la foule vers le sommeil et l’apaisement de l’esprit.

En face d’une musique telle que celle que nous offrent les filles d’Ilighadad, le cœur vacille, inévitablement. Ces deux faces, comme siamoises, sans ambages, ne sont rien de moins que le blues absolu.

Chronique parue dans Paperhouse

Film Music

Film Music

Mikael Tariverdiev

 

Note : 9/10
Label : Earth Recordings
Année : 2015

En 2011, Stephen Coates, fondateur et chanteur du groupe britannique The Real Tuesday Weld, entendit pour la première fois la musique de Mikael Tariverdiev dans un café moscovite. Voulant s’enquérir du patronyme de l’auteur de ces rengaines, Coates se vit répondre par le tenancier que “cela lui rappelait le bon vieux temps”. S’ensuivit une quête passionnée qui le mena à rencontrer Vera Tariverdieva, femme du compositeur, et dont l’aboutissement est la sortie du coffret Film Music, tout premier abrégé occidental des innombrables musiques de film composées par Tariverdiev (plus de 130, jusqu’à son décès en 1996). Furieusement passionné par la musique et le cinéma, Mikael ne composa pas uniquement des bandes originales, puisqu’il créa également des ballets, romances ou des opéras.

Compilée et agencée par Vera et Coates, Film Music est une merveilleuse introduction à l’abondante oeuvre de Tariverdiev, puisant sa source au confluent d’un jazz qui craque (All This Jazz), d’un piano tendre (Boys and the Sea, Part One) et d’une grande élégance d’écriture classique (Prelude for Cello and Piano). La sélection est globalement instrumentale mais inclut quelques morceaux chantés en langue russe, le tout dans une teinte légèrement sépia, aux contours craquelés mais toujours d’une superbe ingénuité, et toujours cette vaporeuse impression, sous la poésie russe de ces notes intimement scellées, de vivre la trouble vie projetée des héros, glorieux ou déchus.

Mikhail Khalik, réalisateur et grand ami de Tariverdiev, pour qui ce dernier composa bon nombre de bandes originales, avoue ne pas savoir où classer la musique de Tariverdiev, si ce n’est tout à côté des plus belles mélodies de Nino Rota ou Michel Legrand voire, ajouterait-on, des premières œuvres du jeune Gainsbourg. Et effectivement, à l’égal de ces compositeurs, Tariverdiev sait créer des pièces limpides et captivantes, de celles que l’on écoute les yeux fermés, parfois la gorge serrée, vers lesquelles l’on revient régulièrement errer.

Chronique parue sur Hartzine

Asunder-Sweet-and-Other-Distress

‘Asunder, Sweet And Other Distress’

Godspeed You! Black Emperor

 

Note : 8/10
Label : Constellation Records
Année : 2015

En 2012, le retour de Godspeed You! Black Emperor après 10 ans d’absence avec le remarquable ‘Allelujah! Don’t Bend! Ascend! avait marqué les cœurs vaillants des fans puisque le disque contenait – enfin – les enregistrement studio de Gamelan et Albanian, deux morceaux que le groupe jouait régulièrement au moment de leur dernière tournée avant dissolution décennale. Il n’y eut, bien heureusement, pas aussi longtemps à attendre pour écouter sur disque Behemoth, imposant morceau joué depuis 2012 lors de leurs concerts. Évidé en quatre mouvements distincts sur ‘Asunder, Sweet And Other Distress’Behemoth se développe à travers deux drones placés au centre de l’œuvre, laissant se développer à ses extrémités ses deux organes vitaux, Peasantry or ‘Light! Inside of Light!’ et Piss Crowns Are Trebled.

Un mot apparaît, écorché et tremblant, à l’instar des projections accompagnant les prestations scéniques du groupe : violence.  Les morceaux élaborés par Godspeed You! Black Emperor deviennent véritablement, au fil du temps, de plus en plus violents. L’âge n’assagit pas, loin de là : l’âge moleste. Peasantry or ‘Light! Inside of Light!’ au rythme lourd et martial possède quelques envolées passionnantes, sans jamais tomber dans l’auto-parodie, et est digne des meilleurs albums du groupe ; on pense évidemment à Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven. Peasantry étreint en ses digues le perpétuel ressac, le balancement entre hargne et modération – et il y a même pendant un bref instant un semblant de solo de guitare, mais chez Godspeed les soli ne peuvent être que spasmodiques et beaucoup trop nerveux. Quant à lui, Piss Crowns Are Trebled suit ses circonvolutions, sous les hoquets d’une basse étouffée par le fuzz et le bouillonnement des violons, jusqu’à l’agitation musicale maximale.

Sur la version vinyle du disque, les deux drones Lambs’ Breath et Asunder, Sweet sont distincts (le premier en fin de face a s’éternise en un locked groove, tandis que le second débute la face b). Sur le CD, les deux drones sont contigus, le premier mord le second sans heurts, en un long moment de respiration, mais une respiration haletante : le calme après/avant les tempêtes.

Les mots n’existent plus. La loghorée est un leurre. Ne subsistent que dronologie et échaufourées sonores et retentissantes. C’est en tout point ce que les membres de Godspeed You! Black Emperor soutiennent depuis déjà deux décennies, au sein d’une discographie exemplaire, si ce n’est quasi parfaite (All Lights Fucked on the Hairy Amp Drooling, musicassette clandestine auto-produite à 33 exemplaires parue en 1994, restant à tout jamais insaisissable). ‘Asunder, Sweet And Other Distress’ est le fracassant prolongement de cette recherche de la majesté, le son comme seule arme.

Chronique parue sur Hartzine

Chants-for-Socialists

Chants for Socialists

Darren Hayman

 

Note : 8/10
Label : WIAIWYA
Année : 2015

Darren Hayman est l’ex-leader et chanteur de Hefner (groupe anglais dont les quatre albums sont parus entre 1998 et 2001) et auteur depuis de nombreux disques solo, qui traitent autant des centaines de femmes exécutées pour sorcellerie en Angleterre à la fin du XVIIe siècle (The Violence) que des piscines en plein air (Lido), ou qui ont été enregistrés dans un climat de quiétude imposée afin de calmer par la mélodie une récente fracture crânienne (The Ship’s Piano). Insérons ici une incartade historique : William Morris est quant à lui une imposante figure historique anglaise, à la fois artiste, éditeur, homme d’affaires et militant socialiste. C’est lors d’une visite en 2012 à la William Morris Gallery que Hayman jeta son dévolu sur un pamphlet publié par ce dernier vers 1880 et sobrement intitulé Chants For Socialists : soit dix “protest songs” empruntes évidemment d’une forte rhétorique politique mais contenant avant tout, selon Hayman, philanthropie et espoir.

Darren Hayman puise dans ce manuscrit, retravaille les textes sans les saccager, compose les mélodies accompagnatrices et en tire la moelle de son nouvel album. Toujours selon l’approche collective dictée par les textes de l’auteur, Hayman a invité sur son disque une chorale de Walthamstow (lieu de naissance de Morris), a joué sur le piano et a imprimé les pochettes du vinyle sur la presse de Morris. C’est bien cet esprit communautaire qui émane de ces chansons et forme un ensemble incroyablement cohérent. Et toute oreille possédant une appétence pop ne peut que s’incliner devant les merveilles mélodiques que nous offre ici Darren Hayman : Chants For Socialists est un disque bienveillant et imprégné d’une constante fluidité. Les morceaux oscillent entre sublime marche ternaire que l’on croirait issue des tous meilleurs albums des Kinks (Down Among The Dead Men), ingénieux tube pop (May Day 1884) ou épatantes ballades folk dont les adorateurs des albums étatiques de Sufjan Stevens vont raffoler (The Day Is Coming, A Death Song). Il apparaît rapidement superflu d’énumérer et de désosser chacune des chansons, car tout y est évident et élégant, de l’impeccable instrumentation aux choeurs largement présents tout au long de l’album sans être étouffants. Et quand bien même les textes peuvent paraître utopiques et naïfs, et Darren Hayman le concède lui-même volontiers, Chants For Socialists est une entité souveraine, une présence réconfortante aussi dépouillée que concise dans sa formulation mélodique.

Dans la tradition socialiste, nous aimerions beaucoup que les gens payent cet album selon leurs moyens. Vous pouvez ne rien débourser si vous le désirez, ou payer la valeur que vous accordez au disque.” C’est en ces termes que Chants For Socialists est présenté sur sa page Bandcamp. Le disque est donc gratuit pour celles et ceux qui désirent le posséder au format digital, et c’est un don infiniment précieux qu’offre Daren Hayman : un album d’une sincérité exemplaire.

Chants For Socialists est également disponible en CD limité ici ou . L’édition vinyle est déjà annoncée comme épuisée, mais peut encore être commandée auprès de certains disquaires indépendant anglais.

Chronique parue sur Hartzine