A Collection of Rarities and Previously Unreleased Material

A Collection of Rarities and Previously Unreleased Material

John Maus

 

Note 8/10
Label : Ribbon Music
Année : 2012

Il y a un an, juste après la sortie de son troisième album We Must Become the Pitiless Censors of OurselvesJohn Maus offrait une mixtape à Rough Trade. En 27 morceaux, ce mix associait allègrement Glenn GouldVangelisTangerine Dream et les thème de « Musclor » et « Ulysse 31 » : une collection intimement éclectique, sans doctrine particulière, une fenêtre ouverte sur le cerveau et l’oeuvre de Maus. On y découvrait l’étendue de ses goûts composites, chose pas si étonnante que cela eu égard à la teneur de ses disques marqués par une consonance passéiste mêlée à un caractère d’immédiateté.

Nouvelle parution compilant 16 titres enregistrés entre 1999 et 2011, A Collection of Rarities and Previously Unreleased Material ne trahit pas la patine du temps même sous le grand-écart d’une décennie. Les fans de Maus connaitront déjà la plupart des morceaux présents sur ce disque (parus sur des compilations du label Domino, entre autres, ou sur le forum du site Mausspace), et seuls deux titres, « Angel of the Night » et « Lost », sont totalement inédits. mais le tout a été remixé par l’artiste. Ces morceaux n’auraient par ailleurs pas dénoté sur l’album précédent de Maus. Cette collection de titres ratisse large : post-punk (« Mental Breakdown » que ne renierait pas Wire, ou « The Law ») et musiques électroniques (« Angel of the Night ») fusent, l’électro 80s à la Human League pointe évidemment largement le bout de son nez (« The Fear »). « Bennington » est un morceau d’amour obsédé (« Time and time again, I see her in my dreams ») et obsédant. « Fish with Broken Dreams », enregistré en 1999, dénote par la clarté du son de batterie, les arpèges de pianos et les notes de flute ; c’est un morceau ambitieux et un des meilleurs de ce disque.

L’aspect anthologique de ce type de compilation est la plupart du temps assez casse-cou, mais John Maus s’en tire admirablement bien: sa musique possède un je-ne-sais-quoi de nostalgique et brumeux, une absorption/digestion du son des 80’s, une dimension cinématographique du spectre sonore.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

Ekstasis

Ekstasis

Julia Holter

 

Note 8/10
Label : RVNG INTL.
Année : 2012

Ekstasis, troisième album de Julia Holter, prolonge l’ébranlement, le trouble musical inauguré sur Tragedy paru l’année dernière : un épanchement inspiré par le théâtre de la Grèce antique, une trame narrative mythologique. L’album a été enregistré au même moment que Tragedy, mais là où ce dernier puisait sa force dans la linéarité presque cinématographique (thématique et musicale), l’artiste s’affranchit de toutes contraintes sur Ekstasis et se rapproche, volontairement ou non, d’une écriture aux inclinations beaucoup plus pop. Quand à la voix de Julia Holter, elle se colore de la tessiture d’autre grand noms, tout particulièrementTrish Keenan (feu la voix d’or de Broadcast) et, de manière encore plus évidente, Stina Nordenstam.

« Marienbad », premier morceau de l’album dont le titre est une référence directe au film « L’année dernière à Marienbad » d’Alain Resnais, ancre la tonalité du reste de l’album: complexe et galante à la fois, entre la douceur de l’introduction du morceau et le pont aux syllabes répétées rappelant « O Superman » de Laurie AndersonEkstasis a le pouvoir d’évoquer, d’invoquer diverses autres entités nécessaires tout en préservant sa propre unité, sa propre personnalité (« Boy in the Moon » illustrant, par exemple, le mariage fictif de Brian Eno période ambiante à Nico période Desertshore). Le titre de l’album, tiré du latin et signifiant « être en dehors de soi-même », justifie les dédales sonores empruntées par Holter. Tout ici est bel et bien au-delà et en dehors: les compositions puisent dans le baroque et transfigurent le songwriting traditionnel.

Ces objets sonores d’une apparente complexité évoquent un angle tout autre de la musique pop moderne, même si le terme « pop » doit évidemment être ici pris à la légère. Jusqu’aux dernières volutes de saxophone free-jazz de « This Is Ekstasis », Julia Holter s’empare de l’art du camouflage, survole les époques, irrigue les compositions d’Ekstasis de torrents acoustiques et synthétiques, insolents et ingénieux. Le tout pour nous offrir un disque qui, tout bien réfléchi, porte magnifiquement bien son nom.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

Nootropics

Nootropics

Lower Dens

 

Note : 9/10
Label : Ribbon Music
Année : 2012

Il existe l’effondrement, le krach musical : c’est ce que l’on nomme le syndrome du deuxième album ou, en anglais, le « sophomore slump ». C’est une constante dans cette industrie musicale : les groupes sont attendus au tournant lors de la parution de leur album sophomore. Certains même en jouent : le titre du second album de GrandaddyThe Sophtware Slump, fait référence à ce syndrome. La liste des albums ayant héroïquement passé cette épreuve est évidemment trop longue, et certains disques, trop en avance ou trop décalés, ont dû se soumettre à la patine du temps avant de triompher.

Concernant le second album de Lower Dens, le bien-nommé Nootropics (les nootropiques étant des drogues qui changent la pensée, au mode opératoire encore incompris), la référence au syndrome du second album est à prendre à la légère : impossible de dire s’il sera référence en la matière, et là n’est pas la question. L’histoire, potentiellement, nous le dira. L’incroyable fertilisation des friches musicales du groupe, entamées sur Twin-Hand Movement en 2010, frappe avant tout. Le groupe a connu pas mal de changements de line-up (un nouveau guitariste, un nouveau batteur) en 2 ans, et cela se ressent évidemment sur le nouvel album. Nate Nelson, le nouveau batteur, apporte une touche indéfinissable à la musique du groupe, en empruntant des directions nouvelles et mécaniques issues du Krautrock, et en jouant de la batterie électronique sur certains morceaux (« Lamb », « Nova Anthem », « Lion in Winter Pt. 2 »), leurs donnant de fières allures imprégnées des percussions utilisées par Yo La Tengo ou Arab Strap sur certains de leurs morceaux. Et puis l’écriture s’est affinée, la matière s’est durcie – le duo « Brains » / « Stem » en est l’exemple parfait. Sur une rythmique implacable et métronomique, Lower Dens dévoile un hymne dont les paroles sont aux antipodes de cette recherche sonore millimétrée (« And no lines allow for mapping / Cause I close my eyes / and feel the teeth of the machine »).

Du doux « Lamb » au final radieux en passant par les longues circonvolutions de « In the End is the Beginning », Nootropics est un album au minimalisme omniprésent, tirant sa profondeur des subtilités des arrangements et des colorations employées, sans jamais perdre du terrain. C’est à se demander à quoi ressembleront les prochains disques de Lower Dens, à en juger par l’impeccable évolution effectuée en à peine deux ans.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

The Echo Show

The Echo Show

Yeti Lane

 

Note 8/10
Label : Clapping Music
Année : 2012

Genèse quasi-dichotomique: au commencement, il étaient quatre et formèrent Cyann & Ben. Entre 2001 et 2006, Cyann & Ben livra quelques beaux albums, dont le très réussi Happy Like an Autumn Tree et son trésor caché « A Moment Nowhere ». En 2009, Cyann s’en alla, les trois garçons restèrent, et Yeti Lane naquit. Un album éponyme valu pas mal d’éloges au trio malgré, avouons-le, une production trop timide (alors que Sweet Beliefs, le dernier album de Cyann & Ben paru en 2006, possédait un son assez bien fichu). Un garçon, Loïc s’en alla. Il en resta deux. En un EP (Twice, en 2010), le duo marqua d’une pierre blanche ses inclinations vers une nouvelle musique, plus frappante, plus incisive, aux mélodies néanmoins tout aussi formelles et brillantes que par le passé.

Sous ce principe de fragmentation, la musique établie par les deux membres de Yeti Lane sur The Echo Show triomphe et se distingue dès « Analog Wheel », près de 8 minutes passionnantes durant lesquelles la mélodie serpente, s’ébouriffe : le type même de morceau qui coupe le souffle et qui ne peut être placé qu’en début ou fin de disque. D’entrée de jeu, cet album impressionne par sa production, par ce mille-feuille sonore et explosif créé avec l’aide d’Antoine Gaillet que l’on a déjà vu aux manettes de disques de M83The Berg Sans Nipple ou Zombie ZombieThe Echo Show apelle quelques références précieuses de la pop kaléidoscopique des années 2000, à savoir The Flaming Lips (le fantôme de Wayne Coyne sur « Dead Tired »), ou Grandaddy (le poltergeist à casquette de Jason Lytle sur « Warning Sensations »). Ben Pleng et Charlie B créent sur ce disque un recueil d’autant plus analogique que les synthés ont une place prépondérante, avec toujours le même amour d’antan pour les arpeggios et les mélodies élégantes. Les guitares sont de sortie comme jamais elles ne l’avaient été auparavant, et, couplées aux pédales fuzz et wah-wah comme sur le lourd mais néanmoins racé « Faded Spectrum », mettent la dernière main à la brillance du spectre sonore de ce disque.

Cette prochaine phrase n’apprend rien à personne: l’écriture mélodique n’a de sens que lorsqu’elle touche les coeurs et juxtapose richesse et simplicité. Les deux membres de Yeti Lane ont toujours appliqué cet axiome. Et c’est maintenant, sur The Echo Show, cet album au son énorme et aux mélodies ciselées, que Yeti Lane vise pile le myocarde pop.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

The Smile Sessions

The Smile Sessions

The Beach Boys

 

Note 10/10
Label : Capitol Records
Année : 2011

Cela faisait 45 ans que l’on attendait la sortie de Smile, album enregistré entre novembre 1966 et mai 1967 par The Beach Boys, juste après Pet Sounds, et jamais édité. Les raisons : les problèmes personnels, la drogue et surtout les conflits et les engueulades au sein du groupe. 45 n’est cependant pas exactement le nombre d’années passées par les fans du groupe à attendre fébrilement la sortie officielle de cet album devenu, au fil du temps, mythique, puisqu’en 2004 Brian Wilson avait intégralement ré-enregistré sa propre version du disque. Cette interprétation était un réconfort car l’album était vivant, même sous une forme totalement nouvelle : des passages vocaux ou instrumentaux on été ajoutés, et la voix de Brian Wilson n’était évidemment plus la même qu’en 1966, moins juvénile, moins fantasque et moins fantastique. Ce disque marquait également le début de la fin des dizaines de bootlegs parus au fil des années et amoureusement assemblés par des fans. Chacun de ces assemblages pirates était la vision unique et fantomatique de son créateur, essayant vainement mais souvent habilement d’harmoniser les morceaux de l’album disponibles officiellement ou sous le manteau.

Il aura donc fallu attendre 45 ans. Et The Smile Sessions sont l’exacte illustration de ce qu’a été l’album à un instant T, un retour vers le passé tout en mono, à l’image de la plupart des albums parus dans les années 60/70. La stéréo naissante était souvent traitée après-coup et la version mono, plus brute, était réellement pensée par les artistes. Ce disque est très exactement une épopée, un tissage chirurgical d’infimes lambeaux sonores assemblés en une concentration miraculeuse. The Beach Boys, accompagnés de Van Dyke Parks dans le rôle de parolier fou sur certains morceaux, subliment la conception et la perception des codes consacrés de la mélodie, des arrangements et des harmonies vocales (l’écoute de « Smile Backing Vocals Montage », piste inédite disponible sur la version deluxe, en est la preuve irrévocable). Smile est un album à la fois grandiloquent, précieux (dans les deux sens du terme, « chéri » et « sophistiqué ») et incroyablement abouti.

Disponible sous divers atours, dont une version double CD, une version double vinyle et, le Graal pour tout adorateur du disque, une version 5 CD incluant un apparat de démos et ébauches, Smile est un retentissant hommage aux grands mythes américains via de grandes lignes mélodiques. Au milieu des préludes ouvrant le disque (« Our Prayer » et « Gee »), des interludes animaliers (« Barnyard ») ou incendiaires (« The Elements: Fire »), de belles ballades se dévoilent (« Wonderful » ou « Wind Chimes »). Mais il y a surtout trois formidables morceaux. Le premier, single archi-connu aux multiples mouvements antithèse du tube pop, est le bien-nommé « Good Vibrations ». Le second, demi-frère du suscité, est « Heroes And Villains », autre collage mélodique et véritable puzzle aux acrobaties vocales chromatiques, beaucoup moins innocent qu’il n’y paraît. La troisième merveille de cet album est « Surf’s up », morceau beau à en pleurer et, tout de go, une des mélodies les plus élégantes et poignantes auxquelles la musique pop ait donné le jour.

Découvrir ou redécouvrir Smile à l’aune de ces enregistrements enfin édités sous leur version définitive est un plaisir infini teinté de soulagement car cet album existe enfin. Mais aussi un plaisir teinté de déférence : Smile toise dorénavant fièrement et à jamais la musique pop.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques