Dreams in the Rat House

Dreams in the Rat House

Shannon & the Clams

 

Note 8/10
Label : Hardly Art
Année : 2013

Peu de groupes gagnent brillamment leur aller-retour pour les 50′s, Shannon & the Clams font partie de ceux-là.

Il est des groupes insatisfaits du temps présent, affamés d’antiques accords et vénérables arpèges, des artistes qui lorgnent invariablement vers le passé, revisitent et se réapproprient tout un pan de l’histoire du rock à réverbération. Certains échouent, par trop de maniérisme ou par mimétisme beaucoup trop apparent. Et d’autres séduisent, presque insolemment. À l’évidence, Shannon & the Clams, trio d’Oakland composé de Shannon Shaw (initialement bassiste des Hunx and His punx), Cody Blanchard et Ian Amberson, semble être en possession d’une glorieuse machine à remonter le temps, de celles qui permettent d’extorquer quelques divines mélodies à Buddy Holly, d’invoquer la délicatesse lacrymale des Shangri-Las ou de chaparder la hargne insatiable de Billy Childish, autre héros garage des temps modernes.

Dreams in the Rat House, troisième album du groupe est une sorte de compendium de morceaux manifestement écrits dans les années 50, frôlant aisément dans ses meilleurs moments une certaine perfection rockabilly. La production sonore, les effets employés sur les voix ou le timbre des peaux de batterie sont autant d’éléments issus des meilleurs grimoires du temps jadis. Les deux premiers morceaux de l’album, «Hey Willy» et «Rip Van Winkle», évoquent immédiatement les planches de surf, les Wayfarers et les bouteilles de bière couchées sur le sable.

De son côté, « Ozma » est un des moments les plus remarquables de la première partie du disque. Les paroles y sont empreintes d’une poésie particulièrement tordue : «I can see you floating through stardust, happy and fat again. / Did I see you in my dreams? You’ve regrown all your teeth. / And my mom thinks while she’s gone, chasing rabbits all day long ». « The Rabbit’s Nose » entame une trilogie de morceaux impeccables, de ceux qui achèvent de révéler le caractère rétro-futuriste, et par définition intemporel, de ce disque. « Heads and Tails » en est très certainement le point d’orgue. Le pont de ce morceau, bref moment où les chœurs solitaires s’élèvent parmi les soubresauts rythmiques, baigne dans une poignante lueur harmonique. Enfin, la ballade « Unlearn » recèle, au sein de ses couplets, une mélodie à l’élégance rare. « I Know » conclut le disque par une outro vorace, immédiatement suivie par une irrépressible envie de remettre le disque.

Il est rare qu’un groupe puisse assimiler toute une poignée de genres, les ingurgiter et en dégager ce je-ne-sais-quoi d’excitant. Avec Dreams in the Rat House, fourmillement de mélodies remarquables et ô combien entêtantes, Shannon & the Clams se pose, fier et altier, comme digne successeur du son américain des années 50.

 Chronique parue sur Bong Magazine

Lost Wonderfuls

Lost Wonderfuls

Skating Polly

 

Note 8/10
Label : SQE
Année : 2013

Kelli Mayo et Peyton Bighorse sont demi-sœurs et ont 30 ans. À elles deux. Kelli a 13 ans, Peyton en a 17. Ces deux là forment le groupe Skating Polly et viennent de sortir Lost Wonderfuls, leur (déjà) deuxième album. Il faut dire que la benjamine du groupe venait d’avoir 10 ans à la sortie de Taking Over The World, leur premier album paru en 2010 sur lequel les morceaux, entre comptines dégénérées et hymnes punk rock, sonnaient comme des ébauches de ce qui était à venir sur Lost Wonderfuls. La chose peut paraître anodine : ce sont deux gamines follement éprises (elles le disent elles-mêmes) de Bikini KillBabes in ToylandBeat HappeningKimya Dawson et Nirvana, et ça se sent. Les codes du rock alternatif sont parfaitement digérés : tout droit sortie des années 90, la musique des Skating Polly dégouline de power chords et le nombre d’accords utilisés dans chacun des morceaux peut se compter sur les doigts d’une seule main mais, hey, c’est ça qui nous plaît. Rapidement repérées par Exene Cervenka du groupe X et par Kliph Scurlock, le batteur des Flaming Lips, qui ont respectivement produit et mixé Lost Wonderfuls, les Skating Polly ont fait la première partie d’artistes à faire pâlir les gamin(e)s que nous étions quand nous avions leur âge : DeerhoofHolly Golightly, ou Band of Horses. Une vidéo dans laquelle Exene Cervenka et les deux filles expliquent le processus d’enregistrement est d’ailleurs disponible ici.

On n’est ici ni dans la violence du mouvement riot grrrl ni dans la saleté du grunge : c’est tout cela à la fois. Skating Polly assimilent dans leurs jeunes cerveaux tout un pan du rock indépendant américain pour y instiller leur imaginaire particulier et composer des morceaux formidables de simplicité. Sur ce disque, les voix des deux jeunes filles sont tout à fait complémentaires : Kelli aux cordes vocales néophytes peut se permettre de pousser des cris incroyables, et Peyton possède un grain plus grave aux chouettes trémolos. Le morceaux introductif est un faux-semblant tout en douceur, une comptine de moins d’une minute en préambule à toute une série de petits et grands tubes en puissance : « In My Head », « Blue Obvious » ou encore « Lost Wonderfuls » auraient tout à fait pu avoir leur place sur la grille de programmation d’une radio alternative Américaine circa 1994. Il y a surtout sur cet album un instant parfait : le tryptique « Carrots » / « Kick » / « Placer ». « Carrots » et son refrain si espiègle qu’il en devient presque mystique (« Carrots, they’re green on the top but they’re orange at the bottom ») est impeccable et peut rester, c’est un risque, en tête toute la journée. « Kick », qui rappelle les Breeders à l’époque de leur premier album Pod, est une belle et frêle ballade soudée à « Placer », sa siamoise électrifiée.

Il n’est pas évident de sortir un album à ce point référencé et pour autant frais et franc et, en ce qui concerne cette incontestable et irrésistible naïveté, l’âge des membres du groupe y est certainement pour quelque chose. L’air de rien, à force d’écoutes, la plupart des morceaux font preuve d’une véracité mélodique exemplaire et totalement imparable ; c’est un disque en forme d’accroche-cœur, de ceux qui raviront les nostalgiques des 90s, et qui par dessus le marché extasieront les passionnés de binarité facétieuse et de riffs conquérants.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques