Lost Wonderfuls

Lost Wonderfuls

Skating Polly

 

Note 8/10
Label : SQE
Année : 2013

Kelli Mayo et Peyton Bighorse sont demi-sœurs et ont 30 ans. À elles deux. Kelli a 13 ans, Peyton en a 17. Ces deux là forment le groupe Skating Polly et viennent de sortir Lost Wonderfuls, leur (déjà) deuxième album. Il faut dire que la benjamine du groupe venait d’avoir 10 ans à la sortie de Taking Over The World, leur premier album paru en 2010 sur lequel les morceaux, entre comptines dégénérées et hymnes punk rock, sonnaient comme des ébauches de ce qui était à venir sur Lost Wonderfuls. La chose peut paraître anodine : ce sont deux gamines follement éprises (elles le disent elles-mêmes) de Bikini KillBabes in ToylandBeat HappeningKimya Dawson et Nirvana, et ça se sent. Les codes du rock alternatif sont parfaitement digérés : tout droit sortie des années 90, la musique des Skating Polly dégouline de power chords et le nombre d’accords utilisés dans chacun des morceaux peut se compter sur les doigts d’une seule main mais, hey, c’est ça qui nous plaît. Rapidement repérées par Exene Cervenka du groupe X et par Kliph Scurlock, le batteur des Flaming Lips, qui ont respectivement produit et mixé Lost Wonderfuls, les Skating Polly ont fait la première partie d’artistes à faire pâlir les gamin(e)s que nous étions quand nous avions leur âge : DeerhoofHolly Golightly, ou Band of Horses. Une vidéo dans laquelle Exene Cervenka et les deux filles expliquent le processus d’enregistrement est d’ailleurs disponible ici.

On n’est ici ni dans la violence du mouvement riot grrrl ni dans la saleté du grunge : c’est tout cela à la fois. Skating Polly assimilent dans leurs jeunes cerveaux tout un pan du rock indépendant américain pour y instiller leur imaginaire particulier et composer des morceaux formidables de simplicité. Sur ce disque, les voix des deux jeunes filles sont tout à fait complémentaires : Kelli aux cordes vocales néophytes peut se permettre de pousser des cris incroyables, et Peyton possède un grain plus grave aux chouettes trémolos. Le morceaux introductif est un faux-semblant tout en douceur, une comptine de moins d’une minute en préambule à toute une série de petits et grands tubes en puissance : « In My Head », « Blue Obvious » ou encore « Lost Wonderfuls » auraient tout à fait pu avoir leur place sur la grille de programmation d’une radio alternative Américaine circa 1994. Il y a surtout sur cet album un instant parfait : le tryptique « Carrots » / « Kick » / « Placer ». « Carrots » et son refrain si espiègle qu’il en devient presque mystique (« Carrots, they’re green on the top but they’re orange at the bottom ») est impeccable et peut rester, c’est un risque, en tête toute la journée. « Kick », qui rappelle les Breeders à l’époque de leur premier album Pod, est une belle et frêle ballade soudée à « Placer », sa siamoise électrifiée.

Il n’est pas évident de sortir un album à ce point référencé et pour autant frais et franc et, en ce qui concerne cette incontestable et irrésistible naïveté, l’âge des membres du groupe y est certainement pour quelque chose. L’air de rien, à force d’écoutes, la plupart des morceaux font preuve d’une véracité mélodique exemplaire et totalement imparable ; c’est un disque en forme d’accroche-cœur, de ceux qui raviront les nostalgiques des 90s, et qui par dessus le marché extasieront les passionnés de binarité facétieuse et de riffs conquérants.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

MISC. DISC

MISC. DISC

Aldous R. H.

 

Note 7/10
Label : Enfer Records
Année : 2012

Les Mancuniens d’Egyptian Hip Hop, grands gagnants du concours de l’appellation de groupe la plus contradictoire de tous les temps, après quelques singles parus en 2010, dont « Wild Human Child », prévoient leur retour cette année sur R&S Records. Si le groupe manoeuvre une pop angulaire aux rythmiques ciselées, leur chanteur et multi-instrumentiste Alexander Aldous Robinson HewettAldous R. H. pour les intimes, oeuvre du côté de la lo-fi sur MISC. DISC, son album solo paru en vinyle sur le tout jeune label français Enfer Records. La lo-fi, un bien grand mot aujourd’hui, est admirablement définie par Jonathan Maier en 1999 comme étant, en définitive, la recherche d’une esthétique honnête, où la désinhibition et la spontanéité sont les tenants et les aboutissants.

L’album a été enregistré dans les mêmes conditions que McCartney II de Paul McCartney, dans un laps de temps très court (le mois de juin 2012) et avec les moyens du bord. Mais l’analogie entre les deux disques s’arrête là : à part quelques embardées expérimentales (le quasi électro-pop « Temporary Secretary » ou le krautrock « Front Parlour »), McCartney II reste, en terme de production et d’écriture, tout a fait raisonnable.

Mais n’allons pas plus loin dans la conceptualisation de la musique et écoutons ce que nous offre ici Aldous R. H. : un album libéré de toutes contraintes sur lequel, enfouies sous les « tape hiss », la production minimale, les claviers vintage et la batterie bringuebalante, se cachent quelques remarquables perles. Les couleurs soniques rappellent R. Stevie Moore ou encore Ariel Pink à ses débuts, et la tessiture vocale d’Aldous R. H. évoque celle de Bradford Cox de DeerhunterMISC. DISC est un album concis, une mosaïque constante de styles dont les grands moments sont ce « Watering, I » à la mélodie pop ingénieuse et aux ponts soyeux, l’entraînant « Sunrise Distributors », le dronesque et minimaliste « Reverie for Rev. F Yongo » et, enfin, cette ballade romantique qu’est « Love Is Inside You ».

Dépouillé, presque primitif, mais surtout sincère, MISC. DISC est un disque dont les miscellanées musicales raviront les oreilles buissonnières et insoumises.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

Swing Lo Magellan

Swing Lo Magellan

Dirty Projectors

 

Note : 7/10
Label : Domino
Année : 2012

Depuis près de dix ans, les Dirty Projectors font preuve d’une hardiesse toujours renouvelée. Leurs deux derniers albums, Rise Above paru en 2007 (où le groupe réenregistrait de mémoire un album de Black Flag et recréait à sa façon l’esthétique rock hardcore des années 80), et l’excellent Bitte Orca il y a 3 ans, posaient définitivement les balises de leur rock à la physionomie en trompe-l’œil : énigmatique et néanmoins faussement complexe, simultanément étonnant et accessible.

Swing Lo Magellan débute par le puissant « Offspring Are Blank », lequel, entre couplets squelettiques aux accents doo-wop et refrains massifs bâtis pour les stades, est une parfaite entrée en matière. Les morceaux titubent régulièrement : « About to Die » débute par une rythmique chaloupée, et « See What She Seeing » et « The Socialites » se greffent sur une articulation aux ligaments et jointures brûlantes et nerveuses. Une basse, une batterie et des choeurs cinglants composent à eux seuls l’armature soutenant le chant épique de David Longstreth sur « Gun Has No Trigger », premier single de l’album.

Immanquablement, il y a chez les Dirty Projectors une recherche de déconstruction, un abandon volontaire de certaines balises distinctes de la musique pop. Mais ce n’est pas pour autant une constante. De beaux morceaux à l’évidence mélodique, où les tours de passe-passe sont mis à l’écart, sont également présents sur le disque : la ballade folk « Swing Lo Magellan », le sombre « Maybe That Was It » sur lequel fait écho le fantôme de Sonic Youth, ou le morceau de clôture « Irresponsable Tune ».

Swing Lo Magellan est essentiellement un album de songwriting, comme l’avoue lui-même Longstreth, où la simplicité est assurément palpable. Ici, moins de beaux contre-chants, contrepoints et rythmiques folles dont Bitte Orca était bourré jusqu’à la moelle, et davantage de finesse. La recherche mélodique prend l’avantage sur les prouesses techniques de la guitare folle de Longstreth. C’est un disque intime, une musique de chambre mais également une superproduction aux arrangements adroitement ciselés. Nouvelle démonstration, s’il en fallait encore, de cette dichotomie qui fait de Dirty Projectors un grand groupe, et de Swing Lo Magellan un beau disque.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

Nootropics

Nootropics

Lower Dens

 

Note : 9/10
Label : Ribbon Music
Année : 2012

Il existe l’effondrement, le krach musical : c’est ce que l’on nomme le syndrome du deuxième album ou, en anglais, le « sophomore slump ». C’est une constante dans cette industrie musicale : les groupes sont attendus au tournant lors de la parution de leur album sophomore. Certains même en jouent : le titre du second album de GrandaddyThe Sophtware Slump, fait référence à ce syndrome. La liste des albums ayant héroïquement passé cette épreuve est évidemment trop longue, et certains disques, trop en avance ou trop décalés, ont dû se soumettre à la patine du temps avant de triompher.

Concernant le second album de Lower Dens, le bien-nommé Nootropics (les nootropiques étant des drogues qui changent la pensée, au mode opératoire encore incompris), la référence au syndrome du second album est à prendre à la légère : impossible de dire s’il sera référence en la matière, et là n’est pas la question. L’histoire, potentiellement, nous le dira. L’incroyable fertilisation des friches musicales du groupe, entamées sur Twin-Hand Movement en 2010, frappe avant tout. Le groupe a connu pas mal de changements de line-up (un nouveau guitariste, un nouveau batteur) en 2 ans, et cela se ressent évidemment sur le nouvel album. Nate Nelson, le nouveau batteur, apporte une touche indéfinissable à la musique du groupe, en empruntant des directions nouvelles et mécaniques issues du Krautrock, et en jouant de la batterie électronique sur certains morceaux (« Lamb », « Nova Anthem », « Lion in Winter Pt. 2 »), leurs donnant de fières allures imprégnées des percussions utilisées par Yo La Tengo ou Arab Strap sur certains de leurs morceaux. Et puis l’écriture s’est affinée, la matière s’est durcie – le duo « Brains » / « Stem » en est l’exemple parfait. Sur une rythmique implacable et métronomique, Lower Dens dévoile un hymne dont les paroles sont aux antipodes de cette recherche sonore millimétrée (« And no lines allow for mapping / Cause I close my eyes / and feel the teeth of the machine »).

Du doux « Lamb » au final radieux en passant par les longues circonvolutions de « In the End is the Beginning », Nootropics est un album au minimalisme omniprésent, tirant sa profondeur des subtilités des arrangements et des colorations employées, sans jamais perdre du terrain. C’est à se demander à quoi ressembleront les prochains disques de Lower Dens, à en juger par l’impeccable évolution effectuée en à peine deux ans.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

Mirror Traffic

Mirror Traffic

Stephen Malkmus and the Jicks

 

Note 9/10
Label : Matador
Année : 2011

Stephen Malkmus, ex-leader de Pavement, nous livre depuis déjà une décennie ses albums solo. Avec la tournée de reformation l’année passée, nous avions tous cru à une renaissance du groupe phare des 90’s, mais ces fulgurants concerts se sont tenus pour des raisons évidemment lucratives. Et si nous avions secrètement rêvé de la parution d’un nouvel album du groupe, il n’en fût rien.

La discographie de Stephen Malkmus est cyclique. Le premier album éponyme restait dans la lignée des albums de Pavement : de fiers morceaux pop tout en pleins et déliés, aux mélodies claires et insoumises. Mais peu à peu, un psychédélisme latent a pointé le bout de son nez: les arrangements de certains morceaux s’ébouriffaient (Sur Pig Lib, « 1% of One » annonçait ce tournant avec ses 9 minutes et 11 secondes de solos et cassures de rythme). Face The Truth et Real Emotional Trash trépignaient également sous les glorieux assauts des claviers, parfois, et guitares saturés, souvent, sur des morceaux de bravoure tels que « No More Shoes », « Dragonfly Pie » et « Real Emotional Trash ».

La circularité au sein de la discographie de Stephen Malkmus réside dans cette habileté à revenir aux sources sur ce cinquième album – ce qui ne veut absolument pas dire que le bonhomme tourne en rond. Les morceaux tendent vers une écriture essentielle que l’on a surtout entendu sur son premier effort solo, Stephen Malkmus. Car on le sait, les meilleurs atouts de Malkmus résident dans la concision. La présence de Beck à la production n’est pas étrangère à cette clarté, tout comme le fait que l’album ait été enregistré en seulement quelques jours. On sait très bien ce dont Beck est capable lorsqu’il s’agit d’illuminer (voire enluminer) des albums, ce que l’on a pu constater il y a quelques mois avec sa présence aux manettes sur Demolished Thoughts de Thurston Moore.

Et de la lumière, il y en a sur cet album. « Tigers » et ses slides salutaires, « Senator » dont le fameux blowjob a été officiellement remplacé par corn job pour ne pas heurter les âmes sensibles, la merveilleuse ballade bondissante « Stick Figures In Love », l’éminent « Forever 28  » (l’âge exact que paraît avoir Malkmus sur cet album), l’acoustique demi-frère de « We Dance » qu’est « No One Is (As I Are Be) » … ces morceaux ne dépareilleraient clairement pas un album de Pavement. Car force est de constater que Mirror Traffic est un album à l’écriture limpide et éclairée et est surtout à ce jour l’album le plus réussi de Stephen Malkmus.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques