Swing Lo Magellan

Swing Lo Magellan

Dirty Projectors

 

Note : 7/10
Label : Domino
Année : 2012

Depuis près de dix ans, les Dirty Projectors font preuve d’une hardiesse toujours renouvelée. Leurs deux derniers albums, Rise Above paru en 2007 (où le groupe réenregistrait de mémoire un album de Black Flag et recréait à sa façon l’esthétique rock hardcore des années 80), et l’excellent Bitte Orca il y a 3 ans, posaient définitivement les balises de leur rock à la physionomie en trompe-l’œil : énigmatique et néanmoins faussement complexe, simultanément étonnant et accessible.

Swing Lo Magellan débute par le puissant « Offspring Are Blank », lequel, entre couplets squelettiques aux accents doo-wop et refrains massifs bâtis pour les stades, est une parfaite entrée en matière. Les morceaux titubent régulièrement : « About to Die » débute par une rythmique chaloupée, et « See What She Seeing » et « The Socialites » se greffent sur une articulation aux ligaments et jointures brûlantes et nerveuses. Une basse, une batterie et des choeurs cinglants composent à eux seuls l’armature soutenant le chant épique de David Longstreth sur « Gun Has No Trigger », premier single de l’album.

Immanquablement, il y a chez les Dirty Projectors une recherche de déconstruction, un abandon volontaire de certaines balises distinctes de la musique pop. Mais ce n’est pas pour autant une constante. De beaux morceaux à l’évidence mélodique, où les tours de passe-passe sont mis à l’écart, sont également présents sur le disque : la ballade folk « Swing Lo Magellan », le sombre « Maybe That Was It » sur lequel fait écho le fantôme de Sonic Youth, ou le morceau de clôture « Irresponsable Tune ».

Swing Lo Magellan est essentiellement un album de songwriting, comme l’avoue lui-même Longstreth, où la simplicité est assurément palpable. Ici, moins de beaux contre-chants, contrepoints et rythmiques folles dont Bitte Orca était bourré jusqu’à la moelle, et davantage de finesse. La recherche mélodique prend l’avantage sur les prouesses techniques de la guitare folle de Longstreth. C’est un disque intime, une musique de chambre mais également une superproduction aux arrangements adroitement ciselés. Nouvelle démonstration, s’il en fallait encore, de cette dichotomie qui fait de Dirty Projectors un grand groupe, et de Swing Lo Magellan un beau disque.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques

Ekstasis

Ekstasis

Julia Holter

 

Note 8/10
Label : RVNG INTL.
Année : 2012

Ekstasis, troisième album de Julia Holter, prolonge l’ébranlement, le trouble musical inauguré sur Tragedy paru l’année dernière : un épanchement inspiré par le théâtre de la Grèce antique, une trame narrative mythologique. L’album a été enregistré au même moment que Tragedy, mais là où ce dernier puisait sa force dans la linéarité presque cinématographique (thématique et musicale), l’artiste s’affranchit de toutes contraintes sur Ekstasis et se rapproche, volontairement ou non, d’une écriture aux inclinations beaucoup plus pop. Quand à la voix de Julia Holter, elle se colore de la tessiture d’autre grand noms, tout particulièrementTrish Keenan (feu la voix d’or de Broadcast) et, de manière encore plus évidente, Stina Nordenstam.

« Marienbad », premier morceau de l’album dont le titre est une référence directe au film « L’année dernière à Marienbad » d’Alain Resnais, ancre la tonalité du reste de l’album: complexe et galante à la fois, entre la douceur de l’introduction du morceau et le pont aux syllabes répétées rappelant « O Superman » de Laurie AndersonEkstasis a le pouvoir d’évoquer, d’invoquer diverses autres entités nécessaires tout en préservant sa propre unité, sa propre personnalité (« Boy in the Moon » illustrant, par exemple, le mariage fictif de Brian Eno période ambiante à Nico période Desertshore). Le titre de l’album, tiré du latin et signifiant « être en dehors de soi-même », justifie les dédales sonores empruntées par Holter. Tout ici est bel et bien au-delà et en dehors: les compositions puisent dans le baroque et transfigurent le songwriting traditionnel.

Ces objets sonores d’une apparente complexité évoquent un angle tout autre de la musique pop moderne, même si le terme « pop » doit évidemment être ici pris à la légère. Jusqu’aux dernières volutes de saxophone free-jazz de « This Is Ekstasis », Julia Holter s’empare de l’art du camouflage, survole les époques, irrigue les compositions d’Ekstasis de torrents acoustiques et synthétiques, insolents et ingénieux. Le tout pour nous offrir un disque qui, tout bien réfléchi, porte magnifiquement bien son nom.

Chronique parue sur Goûte Mes Disques